Lorsque l’on est confiné depuis maintenant 2 semaines dans son logement, et qui plus est, que l’on est programmiste, ça donne lieu à réflexion !
La catastrophe actuelle va imposer un « avant » et « après » Covid-19, et la conception des logements ne devrait pas y échapper.
A l’instar des simulations thermiques dynamiques (STD) qui modélisent le comportement des bâtiments au regard de leurs besoins de chauffage et du confort d’été au stade de la conception, viendra-t-on à envisager un jour la « simulation dynamique de confinement » pour modéliser l’ensemble des scénarios possibles d’utilisation des logements ?
Cette catastrophe impose une utilisation ou mise à l’effort extrême des logements, et rappelle, voire révèle, l’importance de 6 grands enjeux.
La qualité de l’air intérieur
En raison des polluants dégagés par les meubles, les peintures, les produits d’entretien… auxquels s’ajoutent les polluants extérieurs, l’air intérieur est bien souvent de moins bonne qualité que l’air extérieur. Nous passons en général plus de 80% de notre temps dans un lieu fermé. Aujourd’hui, nous sommes à pratiquement 100%. Excepté le temps de la sortie ponctuelle d’une heure et le temps des courses, c’est autant de temps en plus qui peut fragiliser la santé des habitants, et de leurs enfants. Bien souvent oubliée, car d’autant plus invisible, la crise nous rappelle précisément l’importance de la qualité de l’air intérieur comme enjeu de santé publique.
La lumière intérieure
La lumière naturelle synchronise nos rythmes biologiques et entre en jeu dans les processus métaboliques et immunologiques rappelle Dr Suzanne Déoux, (Le Figaro, septembre 2019). Dans le cas d’un confinement, la lumière naturelle répond à d’autres enjeux psychologiques, comme la diminution du stress ou de l’anxiété. Certains aménageurs ont imposé depuis plusieurs années le « droit au soleil » sur leurs opérations en fixant la valeur minimum de 2h de soleil direct au jour le plus défavorable de l’année, à savoir le 21 décembre, pour tous les logements. Qui peut le plus, peut le moins !
Et puis, dans l’idéal, pour favoriser le bien-être, la lumière naturelle couplée à une vue dégagée, ou une perspective sur un paysage, une place, un élément remarquable …, permet l’évasion voire la contemplation. La conception par Le Corbusier du couvent de la Tourette, qui accueille une vie monacale et austère, est là-dessus très inspirante.
La capacité de transformation des espaces
Les reportages ou vidéos qui courent sur Internet le montrent, chacun fait comme il peut pour télétravailler, faire l’école à la maison, cuisiner bien plus qu’à l’accoutumer ou bien exercer une activité physique, etc. Les usages sont diversifiés, intensifiés, les espaces sont mis à rudes épreuves. Il conviendra a posteriori de faire l’étude ultérieure et précise des modifications profondes apportées par la crise aux modes de vie, cependant une chose est sûre, un véritable champ d’exploration est en train de s’ouvrir.
Incontestablement on peut déjà penser que la pratique du télé travail va se développer, et aujourd’hui, force est de constater que bon nombre de logements ne disposent pas de l’espace ou l’organisation adéquate, de la lumière, ou bien l’insonorisation nécessaires pour travailler dans de bonnes conditions.
L’entrée des logements
On le voit, notamment pour les personnels soignants qui rentrent chez eux, l’entrée des logements passe du statut d’un espace très symbolique de transition vie publique/vie privée à celui d’un espace plus technique, presque de sas de désinfection, où les vêtements « sales » doivent être laissés sur le pas de la porte.
On peut penser que ce nouvel usage modifiera la configuration de l’entrée. Au niveau de la porte, il pourrait ainsi être prévu un espace pour laisser ses vêtements souillés, imaginer mettre à proximité un point d’eau pour se laver les mains, voire et pour éviter de traverser le logement, faciliter le chemin d’accès à la douche dès le pas de la porte.
Tendre vers l’autonomie
Les principes de l’urbanisme des « courtes distances » ou de la « proximité » sont aujourd’hui mis en pratique par la limitation des déplacements extérieurs dans le temps et l’espace.
Évidemment l’autonomie est bien souvent une utopie lorsque nous n’habitons pas à la campagne, et que nous ne disposons pas de quelques hectares de terres, cependant l’enjeu ne réside pas tant dans le « faire seul », que l’évaluation des opportunités, physiques et humaines, qui nous sont offertes dans notre plus proche environnement.
Les possibilités sont multiples : énergie (panneaux photovoltaïques, eau chaude solaire,…), gestion des déchets (lombricompost, compost collectif, poules,…), alimentation (carrés potagers, ruches sur les toits, AMAP…).
Vers une organisation qui favorise l’entraide
A20h, on ne sait pas si on applaudit les soignants, ou bien s’il s’agit, d’une certaine manière, de se rassurer pour se dire qu’on est encore tous là, invisibles, mais bien présents. Quand l’épidémie sera terminée, on constatera que l’on aura dépoussiéré d’anciennes valeurs qui nous serviront à mettre au point une nouvelle manière de vivre ensemble prédit Boris Cyrulnik (France Inter, 16 mars 2020).
Le logement, notamment collectif, doit permettre d’accompagner ce changement profond de société. L’habitat partagé est une solution, mais de nombreux dispositifs et initiatives existent par ailleurs pour le logement (espaces partagés, jardins communs,…), ou bien ses habitants (réseaux sociaux, …).
D’un point de vue plus général et à ce propos, il est intéressant de (re)lire « L’entraide, ou l’autre loi de la jungle » de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle (Les Liens qui Libèrent, 2017)
La liste n’est pas exhaustive, et demandera à être complétée une fois venu le temps de l’analyse, et la préparation de « l’après ». Même si le temps est plutôt clément en ce moment, nous aurions pu ajouter le confort d’hiver/d’été qui révèle aussi les fortes disparités auxquels sont exposés les habitants les plus vulnérables dans ces moments de crises.
Pour conclure. Cette crise, au-delà de la catastrophe sanitaire, humaine et économique que l’on est en train de connaitre, permet d’imaginer, en parallèle d’un exercice assez stimulant de prospective sur le monde « d’après», un logement désirable, inscrit dans une véritable transition écologique et solidaire.